Thursday, August 9, 2007

Go East, Young Man !!!

Contemporain de la décolonisation, j'avais cru un peu naïvement à l'époque que tout allait changer, tout allait être bouleversé. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque la rhétorique Tiers-Mondiste (en fait, soviétique) avait encore du prestige et de l'attrait pour les jeunes - qui étaient virtuellement tous "progressistes" (être jeune et conservateur, quelle tristesse ! et quel contresens darwinien !).

La déception fut grande. Sans parler des massacres épouvantables de la Partition de 1947 (c'était tout de même bien avant), on assista à la mise en place d'équipes prédatrices et parfaitement incompétentes, généralement camouflées derrière une "expérience de marxisme scientifique" - généralement, mais pas toujours, et l'alignement sur l'Occident n'était certes pas une garantie d'honnêteté !
Simplement, le penchant auto-flagellant des élites occidentales leur faisait dénoncer tout allié corrompu comme une fripouille aux ordres de Washington, tandis que les despotes du bloc opposé étaient parfois vus avec beaucoup de bienveillance (je me souviens d'un professeur de socio à l'ULB, très fier d'avoir reçu l'autobiographie de Kim Il Sung des mains de son auteur et qui l'avait mise en bonne place dans sa bibliothèque. Je précise que cela se passait dans la deuxième moitié des années '70 !).
Cela dit, comme les Amerloques avaient plus de sous que les Popofs, on se mit à compter pas mal de défections, une fois encore accueillies avec des cris de rage par le mêmes intellectuels qui avaient été bien peu sourcilleux sur les exactions précédentes. Ca semblera peut-être outré, mais je certifie qu'il fallut beaucoup de temps avant que certains reconnaissent que les Khmers Rouges y avaient été un peu forts ; et d'ailleurs, Vergès se fait toujours le champion de ce négationnisme.

Mais je m'égare. Mon propos de ce jour est un message d'espoir pour les jeunes générations, un encouragement aux forces vives et fraîches de notre chère Europe. Oui, la vignette ci-dessus représente évidemment l'Inde, pays que je connais un peu, et même un peu plus qu'un peu. Je dirai tout de suite que je n'ai pas eu le coup de bambou pour ce pays, comme tant d'autres l'ont eu et ont tout lâché pour se précipiter dans un Ashram, aux ordres d'un gourou grassouillet et androgyne (il y en a beaucoup, de ces escrocs). J'étais un peu étonné au début de constater l'absence de Coca Cola - étonné et dépité, car c'est un soda que j'aime beaucoup (moins cependant que le Pepsi mais incomparablement plus que le Thumbs Up, qui était alors l'ersatz monopoleur indien du Coca). De même, les corn flakes locaux étaient inconnus de marque et dépourvus de croquant et de goût (et tant pis pour Orwell et ses "disgusting American cereals", j'aime ça et je n'en rougis point). Mais ces points semblaient tellement minuscules face à un pays aussi misérable et complaisant dans la misère - oui, j'avais lu Naipaul, la bête noire du Monde Diplo, et je trouvais qu'il n'en avait pas rajouté.

Cela étant, je ne me faisais pas trop d'illusions : ce n'était pas pour faire échec à l'impérialisme de la firme d'Atlanta qu'on abreuvait les Indiens de sodas substandards, ou qu'on mettait à leur disposition des voitures, des peintures*, des machines-outils etc. de qualité au mieux médiocre. La plus grande démocratie du monde en était toujours à un "non-alignement" soviétophile et à un protectionnisme inusable, lui, et ce plus de trente ans après son indépendance, et alors que tout l'extrême Orient bouillonnait de cette idée toute simple, mais qui allait se révéler payante : Messieurs les industriels, dans trois ans (ou deux, ou cinq, peu importe) on arrête le protectionnisme et on ouvre les frontières ; vois avez ce temps pour vous y préparer.

Oh, bien sûr, ce n'était pas aussi simple ; mais je reste convaincu que ce système non seulement a conduit à un enrichissement sans précédent d'une grande part de l'Asie, mais aussi à son évolution relativement démocratique. Je ne crois pas au libéralisme dans la seule sphère de l'économie, même si c'est un sujet d'intenses discussions.

Bref, car ce billet menace d'être un peu longuet : enfin Manmohan Singh vint. Comm son nom l'indique, MS est Sikh, et lorsqu'il se trouva nommé Ministre des Finances, il appliqua un principe de libéralisme tout simple, analogue à celui que j'ai cité plus haut. "Messieurs les industriels..." etc. Ca ne lui a pas valu que des amitiés en Inde, ou en plus les tensions communalistes étaient toujours vives. Mais il faut voir le résultat, et il est étonnant. Evidemment, le pays a un avantage énorme : ses couches aisées sont anglophones (par ailleurs un anglais délicieux et légèrement vieillot) ; il a par contre un point très noir : ses couches miséreuses sont très nombreuses et analphabètes. Je ne parlerai pas ici du système des castes, on pourrait y revenir un jour. Mais voilà : le pays produit de nombreux ingénieurs très compétents, des artistes de premier plan, d'innombrables films d'un haut niveau de kitschitude, et la nouvelle bourgeoisie consommatrice compte deux ou trois bonnes centaines de millions de gens très Indiens et plus du tout anti-occidentaux. On parle beaucoup de la Chine et de son potentiel, mais beaucoup moins de l'Inde. C'est grand dommage, et je ne le dis certes pas par opposition à la Chine - pays envers lequel je me sens beaucoup d'affinités - mais parce que l'Inde est moins encombrée et donc plus prometteuse, tout au moins à moyen terme.
C'est à vous que je m'adresse, jeunes bataillons assurant la relève de notre chère Europe ! Allez vers l'Est !

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